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rmet plus de rien perdre dans les distillations & dans les dissolutions, depuis qu'on exige qu'un grand nombre de vaisseaux réunis ensemble se comportent comme s'ils n'étoient que d'une seule pièce, & comme s'ils étoient hermétiquement fermés; enfin depuis qu'on n'est plus satisfait des expériences, qu'autant que la somme du poids des produits obtenus est égale à celui des matériaux mis en expérience.
La première condition qu'on exige de tout lut destiné à fermer les jointures des vaisseaux, est d'être aussi imperméable que le verre lui-même, de manière qu'aucune matière, si subtile qu'elle soit, à l'exception du calorique, ne puisse le pénétrer. Une livre de cire fondue avec une once & demie ou deux onces de térébenthine, remplissent très-bien ce premier objet; il en résulte un lut facile à manier, qui s'attache fortement au verre & qui ne se laisse pas facilement pénétrer: on peut lui donner plus de consistance & le rendre plus ou moins dur, plus ou moins sec, plus ou moins souple, en y ajoutant différentes résines. Cette classe de luts a l'avantage de pouvoir se ramollir par la chaleur, ce qui les rend commodes pour fermer promptement les jointures des vaisseaux: mais, quelque parfaits qu'ils soient pour contenir les gaz & les vapeurs, il s'en faut bien qu'ils puissent être d'un usage général. Dans presque toutes les opérations chimiques, les luts sont exposés à une chaleur considérable & souvent supérieure au degré de l'eau bouillante: or à ce degré les résines se ramollissent, elles deviennent presque liquides, & les vapeurs expansives contenues dans les vaisseaux se font bientôt jour & bouillonnent à travers.
On a donc été obligé d'avoir recours à des matières plus propres à résister à la chaleur, & voici le lut auquel les Chimistes se sont arrêtés après beaucoup de tentatives; non pas qu'il n'ait quelques inconvéniens, comme je le dirai bientôt, mais parce qu'à tout prendre c'est encore celui qui réunit le plus d'avantages. Je vais donner quelques détails sur sa préparation & sur-tout sur son emploi: une longue expérience en ce genre m'a mis en état d'applanir aux autres un grand nombre de difficultés.
L'espèce de lut dont je parle dans ce moment, est connue des Chimistes sous le nom de lut gras. Pour le préparer on prend de l'argile non cuite, pure & très-sèche; on la réduit en poudre fine, & on la passe au tamis de soie. On la met ensuite dans un mortier de fonte, & on la bat pendant plusieurs heures à coups redoublés avec un lourd pilon de fer, en l'arrosant peu à peu avec de l'huile de lin cuite, c'est-à-dire, avec de l'huile de lin qu'on a oxygénée & rendue siccative par l'addition d'un peu de litharge. Ce lut est encore meilleur & plus tenace, il s'attache mieux au verre quand, au lieu d'huile grasse ordinaire, on emploie du vernis gras au succin. Ce vernis n'est autre chose qu'une dissolution de succin ou ambre jaune dans de l'huile de lin; mais cette dissolution n'a lieu qu'autant que le succin a été préalablement fondu seul: il perd dans cette opération préalable un peu d'acide succinique & un peu d'huile. Le lut fait avec le vernis gras est, comme je l'ai dit, un peu préférable à celui fait avec de l'huile de lin seul; mais il est beaucoup plus cher, & l'excédent de qualité qu'on acquiert n'est pas en proportion de l'excédent du prix: aussi est-il rarement employé.
Le lut gras résiste très-bien à un degré de chaleur même assez violent: il est imperméable aux acides & aux liqueurs spiritueuses; il prend bien sur les métaux, sur le grès, sur la porcelaine & sur le verre, mais pourvu qu'ils ayent été préalablement bien séchés. Si par malheur dans le cours d'une opération la liqueur en distillation s'est fait jour & qu'il ait pénétré quelque peu d'humidité, soit entre le verre & le lut, soit entre différentes couches même du lut, il est d'une extrême difficulté de reboucher les ouvertures qui se sont formées; & c'est un des principaux inconvéniens, peut-être le seul, que présente l'usage du lut gras.
La chaleur ramollit ce lut, & même au point de le faire couler; il a besoin en conséquence d'être contenu. Le meilleur moyen est de le recouvrir avec des bandes de vessie, qu'on mouille & qu'on tortille tout autour. On fait ensuite une ligature avec de gros fil au dessus & au-dessous du lut, puis on passe par-dessus le lut même & par conséquent par-dessus la vessie qui le recouvre, un grand nombre de tours de fil: un lut arrangé avec ces précautions, est à l'abri de tout accident.
Très-souvent la figure des jointures des vaisseaux ne permet pas d'y faire une ligature, & c'est ce qui arrive au col des bouteilles à trois gouleaux: il faut d'ailleurs beaucoup d'adresse pour serrer suffisamment le fil sans ébranler l'appareil, & dans les expériences où les luts sont très-multipliés, on en dérangeroit souvent plusieurs pour en arranger un seul. Alors on substitue à la vessie & à la ligature des bandes de toile imbibées de blanc d'œuf dans lequel on a délayé de la chaux. On applique sur le lut gras les bandes de toile encore humides; en peu de tems elles se sèchent & acquièrent une assez grande dureté. On peut appliquer ces mêmes bandes sur les luts de cire & de résine. De la colle forte délayée dans de l'eau, peut suppléer au blanc d'œuf.
La première attention qu'on doit avoir avant d'appliquer un lut quelconque sur les jointures des vaisseaux, est de les asseoir & de les assujétir solidement, de manière qu'ils ne puissent se prêter à aucun mouvement. Si c'est le col d'une cornue qu'on veut luter à celui d'un récipient, il faut qu'il y entre à peu près juste; s'il y a un peu de jeu, il faut assujétir les deux vaisseaux en introduisant entre leurs cols de petits morceaux fort courts d'alumettes ou de bouchon. Si la disproportion des deux cols est trop grande, on choisit un bouchon qui entre juste dans le col du matras ou récipient; on fait au milieu de ce bouchon un trou rond de la grosseur nécessaire pour recevoir le col de la cornue.
La même précaution est nécessaire à l'égard des tubes recourbés, qui doivent être lutés à des gouleaux de bouteille, comme dans la _planche IV, fig. 1_. On commence par choisir un bouchon qui entre juste dans le gouleau; puis on le perce d'un trou avec une lime d'une espèce nommée _queue de rat_. _Voyez_ une de ces limes représentée _planc. I, fig. 16_. Quand un même gouleau est destiné à recevoir deux tubes, ce qui arrive très-souvent, sur-tout à défaut de bouteilles à deux & à trois gouleaux, on perce le bouchon de deux & de trois trous, pour qu'il puisse recevoir deux ou trois tubes. On voit un de ces bouchons représenté _pl. IV, fig. 8_.
Ce n'est que lorsque l'appareil est ainsi solidement assujetti & de manière à ce qu'aucune partie n'en puisse jouer, qu'on doit commencer à luter. On ramollit d'abord à cet effet le lut, en le pêtrissant; quelquefois même, sur-tout en hiver, on est obligé de le faire légèrement chauffer: on le roule ensuite entre les doigts, pour le réduire en petits cylindres qu'on applique sur les vases qu'on veut luter, en ayant soin de les appuyer & de les applatir sur le verre, afin qu'ils y contractent de l'adhérence. A un premier petit cylindre on en ajoute un second, qu'on applatit également, mais de manière que son bord empiète sur le précédent, & ainsi de suite. Quelque simple que soit cette opération, il n'est pas donné à tout le monde de la bien faire, & il n'est pas rare de voir les personnes peu au fait, recommencer un grand nombre de fois des luts sans succès, tandis que d'autres y réussissent avec certitude & dès la première fois. Le lut fait, on le recouvre, comme je l'ai dit, avec de la vessie bien ficelée & bien serrée, ou avec des bandes de toile imbibées de blanc d'œuf & de chaux. Je répéterai encore qu'il faut bien prendre garde, en faisant un lut & sur-tout en le ficelant, d'ébranler tous les autres; autrement on détruiroit son propre ouvrage, & on ne parviendroit jamais à clôre les vaisseaux.
On ne doit jamais commencer une expérience, sans avoir essayé préalablement les luts. Il suffit pour cela, ou de chauffer très-légèrement la cornue A, _planc. IV, fig. 1_, ou de souffler de l'air par quelques-uns des tubes _ss's''s'''_; le changement de pression qui en résulte, doit changer le niveau de la liqueur dans tous les tubes; mais si l'appareil perd air de quelque part, la liqueur se remet bientôt à son niveau; elle reste au contraire constamment, soit au-dessus, soit au-dessous, si l'appareil est bien fermé.
On ne doit pas oublier que c'est de la manière de luter, de la patience, de l'exactitude qu'on y apporte, que dépendent tous les succès de la Chimie moderne: il n'est donc point d'opération qui demande plus de soins & d'attention.
Ce seroit un grand service à rendre aux Chimistes & sur-tout aux Chimistes pneumatiques, que de les mettre en état de se passer de luts, ou du moins d'en diminuer considérablement le nombre. J'avois d'abord pensé à faire construire des appareils dont toutes les parties fussent bouchées à frottement, comme les flacons bouchés en cristal; mais l'exécution m'a présenté d'assez grandes difficultés. Il m'a paru préférable de suppléer aux luts par le moyen de colonnes de mercure, de quelques lignes de hauteur. Je viens de faire exécuter dans cette vue un appareil dont je vais donner la description, & dont l'usage me paroît pouvoir être utile & commode dans un grand nombre de circonstances.
Il consiste dans une bouteille A, _planche XII, fig. 12_, à double gouleau; l'un intérieur _bc_, communique avec le dedans de la bouteille; l'autre extérieur _de_, qui laisse un intervalle entre lui & le précédent, & qui forme tout autour une profonde rigole _db_, _ce_, destinée à recevoir du mercure. C'est dans cette rigole qu'entre & s'ajuste le couvercle de verre B. Il a par le bas des échancrures pour le passage des tubes de verre destinés au dégagement des gaz. Ces tubes, au lieu de plonger directement dans la bouteille A, comme dans les appareils ordinaires, se contournent auparavant, comme on le voit _f